L'Enchantement

C'est du haut d'un ciel différent du nôtre, un ciel léger où les objets s'assemblent comme dans les comptines et les récits des petits princes, que nous parviennent les vues et les sujets de Cristina Rodriguez. Dans la peinture, les choses et les êtres se créent une demeure, ils apparaissent au centre d'un milieu qui leur est propice et entretien leur vie. Dans l'originel tourbillon qui présida aux variations sur le carillon de Moussorgsky, transposé avec virtuosité par l'artiste dans les années quatre-vingt (Tableaux d'une Exposition), également dans le Carnaval des Animaux des années quatre-vingt-dix, nous avons pris l'habitude de ces plantes, de ces animaux, de ces scènes surgies des profondeurs. Dans les années deux mille, voyages en Afrique, scènes de pays éloignés, formes mythologiques et paysages s'emparent de l'espace. Éloignons-nous de la tentation de penser en surface l' apparence lisse et simple de ces visions qu'on imagine naïves. Elles proposent toutes la naissance d'une vie inconnue qui utilise la légèreté d'un colorisme porté à la douceur, mais qui fait émerger de l'ombre des rêveries : ces sont des plantes affichant en secret de nouvelles parures, des bouquets qui croissent par des accords de couleur en mode mineur, un monde qui s'appuie sur des lointains décoratifs et des mystères qui éclosent sous nos yeux. Certaines de ces toiles deviennent spontanément familières par l’extrême tension d' une sorte d'emprise passionnée, grave et sombre, qui s'ancre en nous : un pot rempli de fleurs à peine posées se remplit sous nos yeux de sa forme, et deux anses magiques jouent sur ses flancs ; une suite de sommets couverts de poudre de neige s'élève avec des petits sapins qui les traversent en marchant. Tout un univers de fable un peu grave nous chante son histoire. Les ayant vus une fois, on recherchera les forêts, vases, paysages, les collines et animaux qui ont été dotés de ce rayonnement intérieur secret qui est leur pulsion de rêve. Mais parlons des formes : quelquefois le moins signifie le plus pour offrir un spectacle qui est un enchantement. Si nos regards suivent souvent un trait fascinant de légèreté, c'est qu'il dessine des instants de pur songe, comme pour les Tortoises, de 1997, qui se suspendent et glissent dans une eau où poussent des fleurs. Ainsi , Le Poulpe, de 1998, posé mais agissant sur la toile, exerce par la vibration des tons une présence tranquille et revit son être. Il faut entrer dans ce monde en tenant la main des lutins et des fées, comme avec La traversée du détroit de Messine (2006), qui combine plusieurs mythes en profondeur. Il faut s'apprivoiser aux méandres de ces régions mélancoliques où crée l'artiste. Dans cet ordre de peinture où l'expression reste parfois contenue, ou délibérément réduite, cette artiste au cœur savant développe aussi des récits, des réunions de figures de proches qui s'invitent à cette vie comme des icônes de famille rassemblant, dans des éléments plus nombreux et composites, la vie humaine : des figures d'hommes, de femmes, d'enfants, naissent dans la même nature raffinée, s'entretiennent ou jouent, avec pour cadre des broderies de tournesols et des champs de jolis tissus filés à la main. Comme elle le dit elle-même, l'artiste colombienne aime à raconter, à réunir compagnons et amis sous la verdure profonde. Pour se pencher sur ce monde au goût de source, avec cette palette aimante et cette prière apaisante aux maux de la terre, Cristina Rodriguez réalise, de paysages en objets, de lacs en sommets, une vision d'un monde à la fois vaste et confidentiel qui nous apprend à suivre la beauté dans le cœur de ces guetteurs précieux que sont les peintres magiciens.

Cristina Rodriguez’s visions come to us from a plane higher than our own, a weightless place where subjects assemble themselves as if in fairytales or in the stories of little princes. In paintings, objects and beings set up home in an environment that is favourable and life sustaining to them. Thanks to the original whirlwind of takes on Mussorgsky’s musical suite masterfully transposed by the artist in the 1980s in her series Pictures at an Exhibition, and again in The Carnival of the Animals in the 1990s, we became familiar with these plants, these animals, these scenes bursting from unknown depths.

In the 2000s, Cristina’s voyages to Africa produced scenes from faraway places, where mythological shapes and landscapes dominate the space. We must avoid the temptation to think one-dimensionally about these seamless and simple visions, ones that could appear almost naïve. In fact, they all represent the birth of unknown life, using the subtlety of colour deployed with a light touch, to produce daydreams that emerge from the shadows: they are plants secretly displaying new fineries, bouquets that grow through subtle compliments of colour, a world that leans on faraway adornments and mysteries that bloom under our eyes.

Some of these canvases become immediately familiar by the intensity of a kind of impassioned hold, grave and sombre, that anchors itself within us: a pot of barely cut flowers takes shape under our gaze, two magical handles dancing on its sides; a series of summits powdered with snow is elevated by little pine trees that walk across them. An entire, somewhat serious, universe of fairytales sings us the story of its life. Having seen them here once, we will go on to search for these forests, vases, landscapes, hills and animals who have been anointed with this secret internal light, the impulse of dreams.

But let us now discuss shape: to create an enchanting spectacle, sometimes less is more. If our eye often follows a line, fascinating and subtle, it’s because it is drawing pure moments of daydream, as in 1997’s Tortoises whose protagonists are suspended in the flower-filled water they glide through. Similarly, 1998’s Le Poulpe is poised yet dynamic in his canvas – he comes alive through his tonal vibrations, exerting a tranquil presence. We must enter this world holding the hand of elves and fairies, as with the Crossing the Messina Straight (2006) in which several myths are closely intertwined. One must familiarise oneself with the meanders of these melancholy regions, birthplaces of the artist’s creations. In this type of painting where expression is sometimes contained, or deliberately reduced, this gifted artist also creates narratives and unions between characters who seem to have invited themselves into this life as if family elders uniting, in many composite forms, human life: male, female and children’s figures, are borne from the same refined nature. They entertain each other and play framed by embroidered sunflowers and fields of beautiful handmade fabrics. As she herself says, this Colombian artist loves to story tell and to reunite friends and companions under this rich canopy. In order us to lean into this world of purity with its loving palette and appeasing prayer for earth’s ailments, Cristina Rodriguez creates from landscapes to objects, from lakes to summits, a vision of a world at once vast and intimate that teaches us to follow beauty to the hearts of these precious guardians, the artist-magicians.