Le Coucou au Fond des Bois
La disproportion des formes d'arbres et des sous-bois sombres donne aux sites de la nature représentés par Cristina Rodriguez, une sorte de paix d'intérieur, mais aussi une vision de la nature secrète, traversée par une lancinante inquiétude. Ce qui semble familier dans cette forêt s'élève dans une féerie de bleus et de bruns réinventés sur un mode mineur ; et si les troncs et les rameaux paraissent s'unir dans une paix de jardin, ici planent une magie et un trouble. L’œuvre est passionnée, et toujours un peu troublante, énigmatique. Voilà pourquoi le mystère d'une apparition, pareil à quelque animal surgi des mailles des lianes, ou tiré des cris incessants de la forêt humide, apporte tout à coup sa présence stridente. Le coucou jaune, accent violent, est venu soudain plaquer ici sa forme comme un éclair. Il coexiste avec la vive poussée des écorces droites, avec le ciel végétal fait de voiles retombées, et recrée un monde adouci où subsiste une angoisse. L'artiste le sait : vrai peintre d'un silence révélateur du trouble, elle paraît parfois s'installer dans les poses calmes d'un Braque, mais aussi attirer des fragments de comète venus de Klee, des arpèges surprenants d' harmonie colorée et intensément spirituelle de Kandinsky – des peintres qu'elle cite volontiers. Si le cadre est rendu domestique, familier, il découvre un environnement saturé de mystères et de dangers : dans cette paix qui semble faite pour une humanité proche, ce que veut l'artiste, c'est peindre pour adoucir la souffrance du monde.
C'est le don d'une vie plus proche, où pierres et fleurs sont embuées d'une brume qui diffuse un sentiment de sûreté en évitant tous les chemins périlleux. L'artiste représente un monde redevenu magique où le calme est possible, où la draperie des espaces peints crée une ambiance propice à la confiance. Au-delà des turbulences naturelles dont la violence est signifiée, elle fait appel à une humanité proche, réconciliée, et guérie des malédictions qui la frappent – avec le regard de l'Enfance qui sonde les apparences, elle sait reconstruire et conserver intact le rayonnement familier de toute apparition.
Eric Levergeois
Philosophe
2015